mercredi 30 novembre 2011

La mise en scène de l'interview

A l'unisson, tous les médias ont mis en avant la mise en scène dont a bénéficié l'interview. Selon eux, cette mise en scène est l'oeuvre conjointe :
- de TF1, qui assure une "superproduction", presque un "numéro spécial" du journal télévisé en consacrant 70% du journal à DSK, et réalise ainsi une audience record pour l'année 2011 toutes chaînes et tous programmes confondus ;
- de DSK, qui avait préparé son intervention, préparant aussi bien le texte que la communication non-verbale (expressions du visage, gestuelle, ...) ;

Pour illustrer ce dernier point, reprenons un diaporama photo réalisé par libération, faisant passer DSK pour un comédien devant interpréter successivement des sentiments.

LA GRAVITÉ. L'interview débute, DSK est attentif et concentré. Il prend un air grave et pénétré.

 
 LE PROFESSEUR. «Nafissatou Diallo a menti sur tout». Lorsqu'il l'accuse, DSK prend un air pédagogique et met les points sur les i. 


LE FAUX INGÉNU. «Est-ce que cela veut dire qu'on ne sait pas si celui qui est accusé est innocent ou coupable mais qu'on ne peut rien prouver?»

L'ACCUSATEUR. «Il y a des zones d'ombre. A la page 12 de ce rapport, le procureur dit que des informations ont été données à Kenneth Thompson sur les circulations dans l'hôtel.»

LA GRATITUDE. C'est la fin de l'interview, DSK ne parle pas, il ferme juste les yeux et il remercie TF1 et Claire Chazal intérieurement de ce show réussi.
  • L'analyse de Christophe Barbier
 Directeur de la rédaction de l'Express, Christophe Barbier réagit vivement à l'interview de DSK, où
dans laquelle ce dernier s'attaque au "tabloïd qu'est devenu l'express" en lui reprochant "l'acharnement" dont il aurait fait preuve à son encontre, en présentant comme un rapport médical ce qui n'est que "la fiche d'entrée à l’hôpital de Nafissatou Diallo". Christophe Barbier rédige en réponse une lettre ouverte de réponse à DSK, s'oppose avec ténacité à Le Guen (ami socialiste de DSK) en direct sur LCI, et il publie également un éditorial vidéo sur le site de l'express.

LE DÉDAIN. «Ce tabloïd qu'est devenu l'Express (...) a voulu présenter comme un rapport médical ce qui n'était que la fiche d'entrée à l'hôpital de Nafissatou Diallo»



Dans l'éditorial vidéo nommé "DSK le comédien", Barbier entend montrer que "derrière la communication" de DSK, "il y a du théâtre, et du théâtre parfois excessif". Barbier entame pourtant son analyse par "Qui ne préparerait pas un tel rendez-vous médiatique ? On ne peut donc pas lui en vouloir." Pourtant l'ensemble de ces propos vise à discréditer les propos de DSK, à faire passer ses remords exprimés, comme des faux, sous prétexte qu'ils ont été préparés. 

La mise en garde de Barbier ne semble donc pas vraiment sincère. "On ne peut donc pas lui en vouloir". Pourtant, Barbier, afin de défendre son journal - et peut-être son honneur personnel, essaye subtilement de mettre en garde le spectateur des ruses sophistes de DSK, et dresse le portrait d'un DSK acteur, comédien, peut-être pinocchio ?


Et Christophe Barbier est effectivement persuasif, quand il analyse les nombreux éléments qui montrent que DSK avait minutieusement préparé l'interview, avec l'aide de son équipe de communication (article de FranceSoir). Mais il cherche aussi à créer de la sensation, en focalisant les réactions de l'article sur la mise en scène de l'interview, qui renvoie à la question de la crédibilité de DSK, qui fait écho à la préoccupation "people" d'une partie de la population : que s'est-il passé pendant 9 min dans cette chambre ? 

D'ailleurs, dans son analyse, Barbier utilise à deux reprises un procédé de "comparaison d'image", à 0:22-0:43 et à 2:24-2:42, qui est effectivement plaisant à voir. Mais il cherche alors à tourner DSK en dérision de manière exagérée : peut-on déduire d'une photo saisissant une mimique à un instant t, que DSK adopte une allure de "touriste décontracté revenant d'une mésaventure en vacances". Les défenseurs de DSK rétorqueraient qu'un sourire de soulagement affiché au moment de rentrer en France ne fausse pas nécessairement la contrition exprimée sur le plateau de TF1.

  • La presse dénonce "une opération de com'" 
Un autre directeur (adjoint) de rédaction livre son analyse de la prestation de Strass-Kahn en vidéo, à savoir Yves Thréard, pour le figaro. A 0:50, il livre ainsi sur le ton ironique "Je pense que, il a un grand avenir dans le cinéma, Dominique Strauss-Kahn, c'est un grand acteur". On retrouve les mêmes éléments dans Le Monde, l'Express, Libération ou encore l'Humanité.

C'est le côté "surjoué" de "l'acteur DSK" qui est visé dans ces articles, ainsi que la connivence avec TF1 qui lui livre ce temps de grande écoute comme sur un plateau, sans le soumettre à des questions très déstabilisantes, ce que l'on attribue au fait que Claire Chazal soit une amie d'Anne Sinclair.
Ainsi on retrouve et on file les métaphores du cinéma : dans l'Humanité, le "protagoniste" DSK se voit "dérouler le tapis rouge" par TF1; dans Libération, l'interview est "un dispositif tout au service de DSK : des caméras amies, une lumière propice et ce petit filet d’eau rassurant, la voix de Claire Chazal".


Dans Libération, Laure Bretton fait une analyse prophétique, rapprochant l'affaire DSK d'une série TV à l'américaine, mêlant "sexe, pouvoir, et dette". Lorsque DSK laisse entendre qu'un complot contre sa personne est possible, on comprend que l'on en est qu'au début de la série, et que bien des "rebondissements" nous attendent. Il y a même la dose de suspense que l'on réserve à la fin de l'épisode :
«Toute ma vie a été consacrée à essayer d’être utile au bien public». Encore un silence. Et un futur. «On verra.» Dans une série télé, on appelle ça un «cliffhanger».
Cette analyse est prophétique, car 4 jours plus tard, un épisode de New York Unité Spéciale, véritable calque de l'affaire est diffusé aux Etats-Unis, ce qui est relaté dans France Soir. Un diplomate italien briguant la présidence du Conseil y est impliqué dans un viol présumé d'une femme de chambre soudanaise dans un hôtel new-yorkais !

Enfin, la socialiste Anne Mansouret, mère de Tristane Banon qui monte souvent au créneau pour défendre sa fille et fustiger Strauss-Kahn, incrimine également ce dernier pour les mêmes raisons : selon elle, DSK se serait livré à "un exercice de dramaturgie", "racont[ant] une très belle histoire sans donner les bases qui nous permettraient de savoir ce qui s'est réellement passé".


En conclusion, la presse fustige presque à l'unanimité l'aspect "coup de com'" de l'interview de DSK. La communication a mauvaise presse en France, ce que rappelle cet article du Nouvel Observateur, expliquant que le retour de DSK était nécessairement un exercice ardu, et qu'on ne peut pas reprocher à Strauss-Kahn de faire un effort de communication en tant que tel.

En se focalisant ainsi sur la mise en scène de l'interview; les médias poursuivent deux buts :
- intéresser le lecteur avec cet aspect analyse d'image, décryptage de la propagande télévisuelle, ;
- nourrir le débat un peu vain autour de la sincérité de DSK, en donnant l'argument que le côté Actors Studio de l'interview en fait probablement un menteur.
Cependant, il s'agit encore de remuer les spéculations concernant ce qu'il s'est passé dans la fameuse chambre 2806 du Sofitel, et de s'interroger davantage sur la forme de l'interview que sur son fond.

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