jeudi 1 décembre 2011

La sincérité de DSK

  • La sincérité "mesurée" ?

Le Nouvel Obs du 22/09 donne la parole au président de l'Institut Médiascopie dans un article d'analyse de la prestation de DSK.  Pendant l'émission, 120 personnes représentatives de la population (sexe, âge, sensibilité gauche/droite) réagissaient en direct aux propos de Strauss-Kahn. En s'appuyant sur une analyse "chiffrée", le Nouvel Obs essaie de donner à son analyse un sceau de vérité "prouvée scientifiquement", ce qu'on retrouve dans les expression :
- "Verdict : [DSK] n'a convaincu que ... sur la crise économique"
- "Notre Médiascopie l'établit"
- Elements méthodologiques cités à la fin de l'article

Voir la vidéo de l'analyse médiascopie sur le site de Dailymotion

Effectivement cette mesure permet de mesurer un taux d'adhésion du "public", mais l'article exagère et oriente les conclusions de l'analyse pour appuyer son interprétation.

Citons par exemple :
20 h 11  “Ni violence, ni agression”
"Ce qui s’est passé ne comprend ni violence, ni contrainte, ni agression, ni aucun acte délictueux."
D’entrée de jeu Dominique Strauss-Kahn n’est pas crédible quand il nie avoir eu recours à la violence ou à la contrainte sur Nafissatou Diallo dans la suite 2806. L’ensemble des courbes baisse, quelle que soit la sensibilité politique, passant de 5,7 à 4,9/10.
20 h 12  “Une faute”
"Ce qui s’est passé était une relation, non seulement inappropriée, mais plus que ça, une faute. Une faute vis-à-vis de ma femme, de mes enfants, de mes amis…"
La reconnaissance d’une faute est saluée par un mouvement d’approbation net et consensuel (6,5/10) de l’ensemble des personnes interrogées.

Ici on interprète la chute des notes lorsque DSK se défend comme une perte de crédibilité, tandis que la remontée des notes traduirait son regain, mais c'est sans compter les biais qui sont inhérents à la méthode de médiascopie : on remporte toujours  davantage d'adhésion d'un public à plaider coupable qu'à défendre son innocence !  C'est pour cette raison que l'on confie aujourd'hui la justice à des juges, plutôt que de confier le destin des hommes à l'applaudimètre de la foule comme à l'époque des jeux romains !

Le verdict de l'article, qui est donné dès l'accroche, est également réducteur. On ne peut pas dire que DSK n'a convaincu que sur la crise économique, ou en tout cas on ne peut las le déduire de l'analyse médiascopie. En effet, DSK est globalement accrédité d'un taux d'adhésion supérieur à la moyenne, y compris lorsque DSK s'exprime sur l'affaire Diallo :
- l'indice grimpe à 6.5 voire 7 lorsque DSK conteste son "départ précipité"de l'hotel
- l'indice dépasse également les 6 points lorsque DSK dénonce les mensonges de Diallo

  • Les experts en communication "décryptent pour vous" l'interview de DSK
  •  
Nombreux sont les médias qui font ainsi appel à des tiers pour  analyser la sincérité de DSK. C'est le cas de Libération, qui interview un psychiatre, ou encore de Téléstar qui s'appuie sur le comportementaliste Frédéric Arminot.
Cette stratégie qui consiste à céder la parole aux experts, a deux objectifs pour les médias :
- accroitre leur objectivité, leur crédibilité, en présentant des analyses de personnes qui n'appartiennent pas à la rédaction, et dont la compétence est attestée par leurs études, leurs expériences professionnelles, ... ;
- susciter l'intérêt du lecteur qui veut consulter l'avis du spécialiste pour y trouver une vérité ;

Mais cette stratégie a bien sur ses limites, dans la mesure où la rédaction peut toujours choisir le spécialiste qui saura conforter sa ligne éditoriale, et parce qu'il n'y a pas de consensus quant à l'analyse de l'interview de DSK - même parmi les spécialistes.

Ainsi, dans Libération, l'éditorialiste Vincent Giret fustige le manque de lucidité de DSK, dont la défense est au minimum incohérente, en "jouant sa contrition dominicale en mode mineur" tout en se "cachant derrière le rapport du procureur", parfois "abracadabrantesque" lorsqu'il évoque un complot contre sa personne. Et l'analyse du psychiatre Serge Hefez fait entièrement écho à cet éditorial, affirmant que DSK "était le moins convaincant" lorsqu'il faisait son exercice de contrition.

 Il justifie ce point en opposant deux fautes de natures différentes, que DSK pourrait admettre :
- tromper sa femme ;
- une faute de bienséance au regard de son statut d'homme publique ;
DSK ne fait pourtant pas cette distinction dans sa prise de parole, et reste vague quant à la "faute morale" dont il fait l'aveu, mais le psychiatre va néanmoins interpréter ses propos et refaire la démonstration de DSK, en y glissant des opinions personnelles, pour catégoriser la faute en question.
Mais les arguments qu'il avance sont contestables :
Chacun sait que DSK est un séducteur, qu’il aime les femmes, qu’il a une vie sexuelle intense, qu’il a des relations extra conjugales et que son épouse est au courant. Tromper sa femme dans ce couple, ce n’est pas une faute.
Pour cette raison, la faute qu'évoque DSK serait une faute de bienséance, et qu'en France on aurait peut-être mieux accepter que DSK assume simplement sa nature de "séducteur". C'est pour cette raison qu'il perd sa force de conviction selon le psychiatre. Il justifie ce point par une seconde opinion personnelle :
Les Français ne sont pas des Américains. Ils sont tout à fait capables de tolérer quelqu’un qui a une vie sexuelle intense tant qu’il n’y a pas d’abus de pouvoir et de violence.
Au final, faire intervenir le psychiatre relève d'une pure stratégie de persuasion et de séduction du lecteur. L'avis de Serge Hefez est bien sur intéressant, mais quelle est la valeur ajoutée de faire intervenir un psychiatre, lorsque les points clés de sa démonstration s'appuient sur des opinions un peu communes, mais que l'on pourrait néanmoins contester.

On retrouve la même approche dans le magazine TeleStar, où le comportementaliste analyse surtout l'image de DSK, mais sans la rapporter souvent à ce qui constitue pourtant le titre de l'article "DSK a t-il été sincère ?" :
En balançant la tête et le corps d'avant en arrière et en fermant les yeux, Dominique Strauss-Kahn exprime une forme de lassitude face aux questions de la journaliste.
Le bilan tiré en conclusion n'offre pas non plus une grande valeur ajoutée :
C'est lorsqu'il a eu des accès de sincérité que Dominique Strauss-Kahn a été le plus crédible, mais ce n'était, hélas, que de trop courts moments.

  • Insister sur les omissions ou bien sur la tension émotionnelle ?

L'argument que l'on retrouve dans le discours de tous les détracteurs de DSK est celui des omissions de l'interview : DSK (ou bien Claire Chazal, trop clémente à son égard, c'est selon) n'aborde pas le fond de l'affaire, les sujets qui fâchent.

Ainsi, selon Olivia Cattan, présidente de l'association Paroles de femmes, dont les propos sont relayés par Le Figaro, "il n'y a pas eu d'explication sur ce qui s'est exactement passé dans cette chambre", DSK "n'a pas levé les zones d'ombres", et il n'y a pas eu non plus de "vraies questions contradictoires".
Olivia Cattan s'étonne également des propos de DSK sur "des relations sexuelles entre deux personnes qui ne ne connaissaient pas, en quelques minutes, non tarifiées" et présentées comme "consentantes".

C'est exactement le même argumentaire que reprend Kenneth Thompson, avocat de Diallo, dans une interview accordée à une correspondante de Libération à Washington, que l'on retrouve sur son blog.
Si Dominique Strauss-Kahn n’a pas agressé ma cliente, pourquoi ne peut-il pas dire ce qui s’est passé dans cette chambre et comment son ADN s’est retrouvé sur elle? La question n’a même pas été posée.

Dans un article plus travaillée, la même correspondante liste les exagérations, mensonges, et autres "exonérations de charges abusives" que DSK a commis lors de sa prise de parole.
Ces points très objectifs, issus de la comparaison des dires de DSK avec le  rapport du procureur, ce même rapport que DSK brandit à plusieurs reprises au cours de l'interview, dont on peut trouver une traduction intégrale sur le site de rue89, ont pourtant reçu peu d'écho dans la presse française.

 A l'inverse, ceux qui soutiennent DSK mettent en avant la tension émotionnelle de son interview.
Sur le blog d'un comité de soutien à DSK, voici par exemple l'une des nombreuses réactions, une heure après son passage sur TF1 :
Non seulement DSK m’a convaincue, mais il m’a émue ! 
Je l’ai trouvé, grave, profond, sincère et triste .
Grave, quand il a abordé ce qui s’est passé dans cette suite ! Ni violence, ni agression, et c’est ce qui nous importe. il n’y a pas eu crime. Le reste ne nous regarde pas ! On ne l’a pas menotté et mis en prison, pour adultère, mais pour accusation de viol ! Sa référence au rapport de Vance était pour ceux qui ne le croyait pas ! « ce n’est pas moi qui le dit, c’est le procureur » …….

Profond, dans l’aveu : rendez vous manqué auprès des français, souffrance causée à sa femme sans laquelle, il n’aurait pas tenu le coup, à sa famille, à ses enfants, !
Ses regrets, quant à sa légèreté morte à jamais, …..

Sincère , sans aucun doute ! L’énorme sincérité de l’homme qui n’a plus rien à perdre !
La peur, et quelle peur, quand votre destin, votre vie vous échappe, que vous êtes pris dans le cycle infernal de la dégringolade !

Et triste, si triste ! La tristesse de celui qui n’a aucun droit à l’erreur, et qui la commet quand même !

Et toujours cette lucidité sans complaisance à son égard ! Et à l’égard du monde économique , de la crise, et subitement animé de tout ce qu’il aurait pu faire encore pour la marche du monde et qu’il ne fera pas !

Ses amis socialistes l’ont lâché un peu trop vite à mon goût , le considérant comme un boulet ! Ils ont eu tort !

DSK est un homme rare, avec ses faiblesses, mais surtout avec une force et une intelligence hors du commun !

C'est le même son de cloche que l'on retrouve chez les soutiens politiques de DSK, au PS, comme chez son ami  Jean-Marie Le Guen : DSK s'est montré "ému, digne; [il] a livré sa vérité".
Jack Lang insiste sur le même aspect dans un communiqué :
Dominique a parlé la langue du cœur, de la vérité et de l'intelligence. Son intervention remarquable était pleine d'émotion et de justesse.

En conclusion, différentes stratégies sont à l’œuvre pour faire pencher la balance émotionnelle  de chaque individu entre les deux pôles "coupable" et "non-coupable". C'est bien de cela qu'il s'agit, car on ne pourra vraisemblablement jamais trancher, on ne saura pas ce qui s'est passé au juste dans la chambre 2806 du Sofitel de Manhattan.
Faire intervenir des "experts en communication" pour juger du niveau de sincérité de Strauss-Kahn a ses limites, car les points clés de leur démonstration s'appuient sur des jugements bien subjectifs, et la prétendue objectivité qui découle des chiffres de la médiascopie disparait dès lors qu'on aborde son interprétation délicate. Les commentateurs essayent alors d'insister sur la tension émotionnelle de l'interview - pour les défenseurs de DSK, ou bien sur les omissions et les approximations commises dans le discours de Strauss-Kahn, pour ses opposants.
Ceux-ci misent également sur une autre stratégie qui a pris de l'ampleur dans la presse : analyser la mise en scène de l'interview.

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